Les préludes du bonheur by Jacynthe-Mona Fournier

Auteur:Jacynthe-Mona Fournier
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Éditions JCL
Publié: 2021-04-26T04:00:00+00:00

18

À l’autre bout du monde, le capitaine Robert Woodland terminait tranquillement son repas. Il pouvait encore disposer de quelques heures avant de reprendre son quart de travail à bord du navire canadien de Sa Majesté.

Après la tempête essuyée au large des côtes coréennes, le navire canadien, rattaché au commandement britannique, faisait route dans des eaux plus calmes de l’océan Pacifique, se dirigeant vers son port d’attache, Esquimalt, en Colombie-Britannique. On rentrait enfin à la maison, mais pour combien de temps ? Nul ne pouvait l’affirmer.

Robert se rendit à la petite bibliothèque du navire où les livres, revues et journaux étaient disponibles pour l’équipage. Son copain, Gary, un officier d’origine britannique, s’était déjà emparé des journaux de son pays et parcourait rapidement les nouvelles, sans grand enthousiasme. Mais au moment de refermer l’un d’entre eux, il remarqua la photo de deux musiciens dans la section arts et spectacles.

— Wow, s’écria-t-il. Quelle belle fille ! Ils disent que c’est une Canadienne. Regarde-moi ça, Robert !

Ce dernier jeta un bref coup d’œil, avant d’arracher le journal des mains de Gary. Il parcourut avidement l’article qui s’y trouvait.

— Mon Dieu, murmura-t-il. C’est elle, c’est Monique.

— Tu connais cette fille-là ?

Robert hocha la tête, les yeux toujours rivés sur le journal. Après un moment, où les couleurs commencèrent à revenir sur son visage étonné, il continua :

— C’était ma blonde. Elle et moi, on vient de la même ville. Nous sommes sortis ensemble longtemps. Je l’ai laissée tomber pour rejoindre la marine…

— Je savais que tu pouvais être beaucoup de choses, mais je n’aurais jamais cru que tu puisses être un maudit fou. Parce qu’il faut l’être pour laisser tomber une fille pareille. Elle a l’air d’une princesse. C’est qui le gars à côté d’elle ?

— Aucune idée, grommela Robert en glissant le journal sous son bras avant de quitter les lieux pour se réfugier dans le lit étroit de sa cabine.

Après avoir admiré la photographie, il recommença à lire l’article qui l’accompagnait. Pendant un long moment, il ferma les yeux, retrouvant dans son esprit comme dans son cœur l’écho de cette mélodie qu’elle avait jouée pour lui, un soir de printemps, à Kénogami. Il sentit monter en lui une envie folle de la revoir, de la serrer dans ses bras et de lui avouer qu’il l’aimait encore, qu’il l’aimerait toujours malgré ses efforts pour l’oublier. Mais voilà, c’était trop tard. Il ne changerait pas encore une fois le cours de leur vie.

Cette nuit-là, il dormit bien peu. Il pensait à sa ville, aux années avant la marine. Il revoyait son père. Maintenant, après avoir participé à une guerre, il comprenait enfin l’homme qu’il avait longtemps détesté. Il avait réalisé que de vivre avec la peur au ventre, de voir ses camarades se faire blesser ou tuer et d’être impuissant pour empêcher tout ça pouvait rendre un homme à moitié fou et l’affecter de plusieurs façons. Il aurait voulu dire à son père combien il était désolé, qu’il comprenait et qu’il lui pardonnait. Mais il était trop tard pour ça aussi.

Subitement, sa famille lui manquait terriblement.

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